Bord de mer, quatre stations pour une promenade

(atelier d’écriture du 23 mars 2024 : « imaginer une promenade en quatre étapes et les raconter comme autant de petits tableaux »)

I

Extrémité de l’Avenue Foch

Un soir d’été, à 18 heures. Extrémité de l’Avenue Foch.

Le soleil cogne sur les façades, dilution rose sur béton gris.

Les figures géométriques se font écho tandis qu’un chat dort dans un angle mort.

————————————————————————-

II

19 heures, entre la mer et les restaurants cabanes.

Étrange mélange de senteurs.

Le vent apporte son pesant d’iode et d’embruns avant d’aller s’encanailler dans les baraques à frites.

Mais comment peindre le vent ?

————————————————————————-

III

Marcher sur l’eau ou presque

19h30. L’estacade.

Marcher sur l’eau, ou presque.

L’estacade se dresse entre la plage et l’eau.

Sur le ponton de bois les badauds, nez au vent, tête en l’air, se découpent en silhouettes.

C’est beau. C’est bleu. Et le ciel peut bien attendre.

————————————————————————-

IV

‘Le bout du monde’

20 heures. Le ‘Bout du Monde’. (1)

Au-delà il n’y a rien, parce qu’ici c’est le bout du monde.

Au-dessus, les falaises, comme un abri ou une menace.

Aux pieds, les galets et leurs roulis incessants.

Devant… devant c’est la mer, l’immensité, l’appel au loin, l’appel du large…

 

(1) Le ‘Bout du Monde’ : c’est ainsi que l’on nomme, ici, l’endroit où s’arrête la plage praticable et son chemin de promenade.

Paris de pluie et de nuit

La maison sans Providence est un crève-coeur. J’ai eu besoin de partir, de changer d’espace et de temps, d’accélérer le rythme, de m’enivrer de gens et de bruits, d’images et de sons, d’odeurs…

Paris est le lieu qui permet cela. Premier soir et la pluie, drue d’abord et puis fine, et puis plus… seuls les pavés rappelaient son passage, son lavage à grande eau, permettant ainsi de flâner le nez en l’air…

 

 

Providence et son regard qui m’attend

J’avais dit ‘plus jamais’

Ou au moins ‘pas maintenant’

Et elle a mis sa tête dans ma main,

Sa plainte dans ma tête,

J’ai quitté le refuge avec elle.

C’était il y a plus de 3 ans.

Providence, c’est son nom,

C’est ainsi qu’elle m’a été présentée.

Boule noire aux taches blanches,

Pupilles constamment dilatées.

On pourrait croire qu’elle ne voit quasi pas,

Et pourtant, elle a toujours un temps d’avance.

A cause de la lumière qui l’éblouit, elle vit tête baissée.

Mais quand je m’approche d’elle, son regard anticipe.

Elle sait,

Elle sait que c’est pour elle que je viens,

Elle sait où je vais me poser, m’assoir,

Et avant même que je n’arrive,

Son regard m’a déjà invitée.

Trois ans.

A s’apprivoiser.

Autrefois battue et abandonnée, elle avait peur de tout,

Elle a toujours peur de tout d’ailleurs.

Les feuilles qui bougent trop vite dans les arbres,

Les ombres et le soleil,

Les bruits, les oiseaux dans le jardin…

Elle avait peur de ma main au tout début,

Mes caresses comme des menaces,

Souvenir de mauvaises passes,

De méchanceté passée.

Providence, c’est devenu des sourires quotidiens

Une réjouissance pour mes yeux,

Des progrès, petit à petit,

Des rires, de la joie…

Providence a 15 ans,

Depuis quelques jours elle ne va pas bien

Et moi, j’ai du chagrin.

Tellement.

Demain, un rendez-vous effrayant,

J’espère revenir avec elle,

J’espère tant.

Ce soir j’ai envie de raconter son regard,

Qui me touche tant depuis trois ans,

Ce regard qui précède

Suit

Invite,

M’attend.

Son regard que j’aime tant…

Bonne nuit ma Belle, reste s’il te plait.

Reviens demain.

13 février : Le jour du restaurant chez soi (éphéméride 2)

Aldegure venait d’achever une mission importante, périlleuse et pas drôle du tout. Pour célébrer cet accomplissement, il avait prévu d’inviter son épouse Milimie au restaurant. Lorsqu’il rentra chez lui à 19 heures, il était très fatigué. La nuit était tombée qui transformait l’extérieur en une aventure sombre. Milimie comprit que le réconfort ne se conjuguerait pas au mode ‘restaurant’ et proposa : « Et si l’on faisait un grand feu pour se réchauffer les os et qu’on allait chercher nos plats préférés chez le traiteur d’à côté ? »  La proposition alluma un sourire sur le visage d’Aldegure qui s’empressa d’acquiescer.

Alors ce fut comme si le restaurant s’était installé à la maison. Un grand feu les réchauffait tandis que de bons plats tout prêts les régalaient. La musique choisie était joyeuse et MimiBoulette, la minette, était contente de ne pas passer la soirée seule.

Tout était parfait en cette veille de St Valentin et de beaucoup de bruit pour rien. Alors Milimie décréta que le 13 février serait la journée du restaurant chez soi.

Depuis, tous les 13 février, les restaurants restent fermés et les traiteurs ouverts !

11 février : Le jour sans énergie ni désordre (éphéméride jour 1)

A Serpaville, petit village normand, en haut d’une tour d’un vieux château tout cassé, il y avait une chambre toujours en désordre. Londrêche, la grincesse déglinguée qui y vivait, dégageait tant d’électricité que les objets ne restaient pas en place et virevoltaient au moindre de ses mouvements.

C’était fatigant de toujours les ranger. Fatigant et vain. Dans la nuit du 10 au 11 février 1962, Londrêche ne parvenait pas à dormir. Sa tête échafaudait mille plans, imaginait autant de stratagèmes et de solutions, prenait toutes sortes de mesures en espérant que, enfin, les objets deviennent sages et immobiles.

Lorsque MiaChat réclama sa pitance au matin, la grincesse se leva à grand peine tant elle était épuisée.

Il lui fallut du temps avant de s’apercevoir qu’aucun objet n’avait valsé depuis son lever. Plus d’énergie, plus d’électricité non plus, ordre revenu.

Éreintée mais heureuse, elle décréta que le 11 février serait la journée sans énergie ni désordre.

Depuis, chaque 11 février à partir de la nuit, le château tout cassé est inondé de lumière et de musique pour que nul ne dorme et que l’ordre s’installe dans la fatigue du jour.

(petit exercice d’écriture sous forme d’éphéméride…)

Epiphanie

Tout d’abord rappeler que le mot ‘épiphanie’ ne signifie pas fève, galette et couronne sur la tête, mais « apparition », et par extention « révélation ».

Et des révélations, j’en ai à vous faire, j’ai quelques vérités à rétablir. A moins que ce ne soit pas des vérités vraiment vraies et que ce soit à cause de Jacques Brel que j’me brèle…

Quoi qu’il en soit, j’espère, ma foi, ne heurter aucune foi.

Il était 20 heures, ce 6 janvier. Tout le monde s’apprêtait à passer à table pour célébrer l’anniversaire de Juda. Cette période de l’année était toujours chargée, le solstice d’hiver, l’anniversaire des jumelles le 25 décembre, puis la fin de l’année, et tutti quanti.

Dix couverts étaient joliment disposés, la vaisselle brillait, et de délicieux fumets s’échappaient de la cuisine. Les jumelles, Christine et Christiane, prirent place, ainsi que leur frère Juda et Joseph le père, puis Papy et Trinité, la grand-mère. Juda avait invité des copains à lui, Baptiste, Mathieu et cet âne de Paul avec qui, cependant, Juda – passionné d’acide rock, aimait bien faire un bœuf de temps en temps. Dans la cuisine, Marie en avait marre de s’activer.

L’ambiance était singulièrement sinistre. Un ‘plop’ indiqua qu’une bouteille de champagne avait été ouverte, et le liquide doré emplissait maintenant les verres. Il faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on ne vit pas, Monsieur, on ne vit pas, non … Alors on boit un peu, pour réchauffer l’atmosphère.

En dépit de l’insistance de sa mère, Juda n’avait pas voulu se défaire de sa sacro-sainte tenue gothique noire assortie à ces yeux charbonneux. Ce n’était pas un adolescent facile, non, il donnait du fil à retordre à ses parents.

Soudain, la sonnette retentit. A cette heure, c’était étonnant, on n’attendait plus personne. Trois grands gaillards, éclairés par la lune, se tenaient là, dans l’encadrement de la porte. C’était de lointaines relations de la famille, dont on avait vaguement entendu parler sans jamais les avoir rencontrées. Joseph les invita à entrer et, vu l’heure, leur proposa de rester à diner, ce qu’ils acceptèrent sans ambages. Ils s’y attendaient même, visiblement, puisqu’ils n’étaient pas venus les mains vides. Ils déposèrent leurs présents, myrrhe, encens et or, sur le plan de travail dans la cuisine.

On se poussa un peu pour leur faire de la place, tandis que Marie ajoutait trois couverts. Elle était contrariée car son service de table était prévu pour douze personnes, la treizième assiette serait donc dépareillée. Et puis, treize à table… Gaspard s’installa entre les deux filles, tandis que Balthazar s’asseyait entre Trinité et Joseph, face à Juda, et que Melchior prenait place entre Marie et le Papy. Les bulles du champagne n’y avaient rien fait, l’air était toujours chargé d’électricité et une chape de plomb semblait peser sur la tablée.

On entama le repas, quasi religieusement. En coulant dans la gorge, la bisque de homard faisait des grands ‘slurps’. Oui, ça faisait des grands ‘slurps’. Quelque chose que personne ne maîtrisait était en mouvement. L’incongruité de cette assemblée devait s’expliquer ailleurs que dans le cadre de l’anniversaire d’un adolescent boutonneux. Soudain, Gaspard se leva et prit la parole. « J’ai une révélation à vous faire ». Tout sembla s’immobiliser, y compris la goutte de soupe maintenue en suspension sur le bord de la cuillère.

Alors c’est Melchior qui poursuivît. ‘Christine, Christiane, il est temps que vous sachiez que Joseph n’est pas votre père ». Les jumelles ouvrirent grand les yeux tandis que Marie joignait ses mains en prière. Il faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on ne pense pas, Monsieur, on ne pense pas, on prie. Papy devint rouge comme la bisque, tandis que le visage de Trinité tournait blanc comme neige.

Joseph frappa du poing sur la table en s’écriant « Quoi ! Insinuez-vous que mon épouse m’a trompé ? Et que je me saigne les veines pour nourrir des enfants qui ne sont pas de moi ?!! « Il faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on ne cause pas, Monsieur, on ne cause pas, on compte.

Alors Balthazar assena le coup final. « Christine et Christiane sont les enfants de Papy qui, en fait, n’est autre que le Saint Esprit. Elles sont nées de la façon la plus pure, par Immaculée Conception. ».  Alors là, tous les visages se figèrent comme la soupe dans la soupière, tous bouche bée comme autant de ronds de serviettes.

Un trop plein d’émotion et le rire de Juda devint hystérique, « Il m’encuquoi conception ?? A-t-on déjà vu des enfants naître de telle façon ? « Alors Balthazar poursuivit et expliqua tout. Tous les projets pour l’Humanité, et les couacs dans les rouages de la machine, qu’on pensait bien huilée pourtant. Il raconta l’idée de la Trinité, le père, le fils et le Saint Esprit. Et l’énorme bug qui suivit. Non seulement de cette Trinité le Fils devint Fille, mais en plus il y en avait deux.

Impossible de résoudre la quadrature du cercle, alors pour que la Trinité devienne réalité, l’une des jumelles devait partir, et quitter le cocon familial. L’enjeu était de taille, la peine valait la peine. Mais c’était difficile. Parce que chez ces gens-là, on ne s’en va pas, Monsieur, on ne s’en va pas …  Christiane avait toujours été plus proche de sa mère, de son père et de Papy, elle fut donc l’élue.

C’est ainsi que, ce soir-là, Christiane vit sa sœur Christine franchir pour la dernière fois le seuil de la maison. Par la fenêtre, elle la vit monter dans un grand traineau rouge, et filer sur la neige …

Jamais plus on n’entendit parler d’elle. Des rumeurs racontent qu’elle a épousé le Père Noël …. D’autres disent qu’elle est partie au Vatican et hante aujourd’hui la fameuse chapelle Christine… Enfin… les rumeurs, Monsieur, vous savez … Les rumeurs …

Mais il est tard, Monsieur, il faut que je rentre chez moi ….

 

 

 

 

 

 

My hometown

C’est là où j’habite, là où je suis née, la ville que j’ai quittée maintes fois et maintes fois retrouvée.  Et me vient à l’esprit la chanson de Bruce Springsteen ‘My Hometown’. Ici aussi, la ville tend à se vider, les boutiques ferment, des entreprises mettent la clé sous la porte,  le bonheur est ailleurs.

Mais il reste la mer, elle n’est pas partie en cavale, et le ciel, et les cieux, ses si beaux gris, ses si beaux bleus. Alors, si parfois j’ai envie de partir, de me faire la malle, il y a toujours quelque chose qui me rappelle qu’ici, c’est chez moi, que cette ville est ‘my hometown’

Il semble difficile de poster la vidéo de Springsteen ici, mais si vous cliquer sur le lien, vous arriverez sur sa ‘hometown’ à lui.